Comment se libérer de la culpabilité parentale ?
- Candice Verbist
- 21 mai
- 4 min de lecture

Il m’arrive très souvent, en consultation, d’accueillir des parents épuisés, les traits tirés, le cœur en vrac. Ce ne sont pas des parents défaillants, loin de là. Ce sont des parents investis, aimants, soucieux du bien-être de leurs enfants. Mais ils sont accablés par un sentiment tenace : la culpabilité.
C’est devenu un refrain dans les premières séances :— « Je crie trop. »— « Je ne suis pas assez disponible. »— « J’ai l’impression de rater leur enfance. »
Je vois leurs regards se baisser quand ils évoquent ce qu’ils vivent comme des erreurs. Et à chaque fois, je ressens la même chose : ce poids qu’ils portent n’est pas le fruit de leurs seules décisions. Il vient de plus loin, il est nourri par notre époque, notre histoire, notre culture, et parfois nos propres blessures d’enfance.
L’illusion de la perfection parentale
Notre société valorise énormément la parentalité. C’est une bonne chose, en apparence. Mais à y regarder de plus près, cette valorisation est à double tranchant. Elle fixe des normes inatteignables. Un bon parent devrait être patient, toujours disponible, savoir poser des limites sans crier, cuisiner équilibré, stimuler son enfant sans le stresser, tout en menant une vie personnelle épanouie.
Dans mon cabinet, je rencontre des parents qui essaient de répondre à toutes ces exigences, parfois jusqu’à l’épuisement. Beaucoup se sentent en décalage avec ces modèles idéalisés — diffusés notamment par les réseaux sociaux — et finissent par se juger sévèrement.
Je leur rappelle souvent une chose essentielle : l’enfant n’a pas besoin de parents parfaits. Il a besoin de parents suffisamment bons. Cette expression, empruntée à Donald Winnicott, pédiatre et psychanalyste, est libératrice. Elle reconnaît le droit à l’erreur, la possibilité de réparer, d’apprendre et d’évoluer.
La culpabilité : un signal ou un poison ?
Il faut distinguer deux formes de culpabilité. La première, saine, est celle qui nous permet de prendre conscience de nos actes et de leurs conséquences. Si je crie sur mon enfant et que je me rends compte que je l’ai blessé, cette culpabilité peut me pousser à lui parler, à m’excuser, à ajuster mon comportement.
Mais il y a aussi une culpabilité toxique, qui s’installe en boucle, sans issue, sans action possible. Elle paralyse au lieu de mobiliser. Elle devient une identité : « Je suis un mauvais parent ». À ce stade, elle n’a plus rien d’utile. Elle devient souffrance.
C’est cette forme de culpabilité que je travaille souvent en thérapie. Nous cherchons à comprendre d’où elle vient :— A-t-elle été transmise par un modèle familial très exigeant ?— Est-elle liée à une blessure d’enfance jamais reconnue ?— Ou encore, est-elle le résultat d’un idéal de soi inatteignable ?
Je me souviens d’une mère que j’ai accompagnée, brillante, généreuse, qui se jugeait durement car elle avait repris le travail après trois mois. Elle disait : « J’ai abandonné mon bébé. » En explorant son histoire, nous avons découvert que sa propre mère avait vécu un post-partum très difficile, dont elle ne parlait jamais. Elle-même avait grandi avec la sensation d’avoir été un fardeau. Ce n’était pas tant son choix de travailler qui la faisait souffrir, mais la peur inconsciente de reproduire un schéma.
Le rôle de la transmission familiale
La culpabilité parentale est rarement isolée. Elle est souvent le symptôme d’une loyauté invisible, d’une dette symbolique envers sa propre famille. En tant que psychothérapeute systémique, je travaille avec cette notion de loyauté. Elle désigne le lien implicite, souvent inconscient, qui nous relie à notre lignée.
Par exemple, vouloir être un parent parfait peut être une manière de réparer ce que l’on a soi-même subi : l’absence, la négligence, la violence. Mais cette réparation, aussi noble soit-elle, peut devenir tyrannique. Elle pousse à une exigence excessive, à une volonté de tout maîtriser. Et inévitablement, elle mène à la culpabilité dès que la réalité résiste à l’idéal.
Dans ces situations, je propose parfois de représenter les différentes générations sur un génogramme (sorte d’arbre généalogique thérapeutique). Cela permet de visualiser les répétitions, les silences, les fractures. C’est un outil très puissant pour comprendre ce qui se rejoue à travers nos comportements de parent.
La culpabilité parentale est d’autant plus douloureuse qu’elle est souvent tue. Peu de parents osent dire ce qu’ils vivent. Ils ont peur d’être jugés, rejetés, catalogués comme incompétents. Le mythe du parent naturellement aimant, patient et joyeux est si puissant qu’il empêche parfois toute parole sincère.
Or, parler, c’est déjà alléger le poids. C’est rétablir du lien. Dans ma pratique, je veille à créer un espace où le parent peut se dire sans crainte, où il peut déposer ce qu’il garde pour lui depuis des mois. Ces moments de parole sont souvent très émouvants. Parfois, ils suffisent à créer un basculement.
Je pense à un père qui m’a confié, la voix tremblante : « J’ai peur de ne pas être à la hauteur. » Il n’avait jamais dit cela, pas même à sa compagne. C’était un homme fort, protecteur, qui ne s’autorisait pas la vulnérabilité. Le fait de poser ces mots a ouvert un chemin de réconciliation avec lui-même.
Revaloriser le « bon assez »
Sortir de la culpabilité ne signifie pas renoncer à être un bon parent. Cela signifie accepter que « bon » n’est pas égal à « parfait ». Un parent qui se remet en question, qui cherche à comprendre, qui accepte de faire un pas de côté, est déjà dans une posture bienveillante.
Je dis souvent aux parents que l’éducation est une danse, pas une ligne droite. Elle nécessite souplesse, écoute, ajustements. Elle se vit dans la relation, pas dans le contrôle. Et surtout, elle se construit jour après jour, avec les outils que l’on a, les ressources que l’on découvre, et les failles que l’on accepte.
Si vous vous sentez coupable en tant que parent, ne restez pas seul avec ce sentiment. Il n’est pas un signe de faiblesse, mais de conscience. Toutefois, il ne doit pas devenir votre identité. Vous avez le droit d’apprendre, de vous tromper, de vous corriger. Vous avez le droit d’être humain.
En tant que psychologue, je vous accompagne à retrouver confiance en vous, à entendre votre propre voix, à construire une parentalité à votre image — imparfaite, mais vivante.