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L’impact invisible des non-dits dans les familles

  • Photo du rédacteur: Candice Verbist
    Candice Verbist
  • 24 mai
  • 4 min de lecture

Il y a des silences qui font du bruit. Beaucoup plus de bruit qu’on ne le pense. Dans mon travail de psychothérapeute systémique, les non-dits sont presque toujours présents, même quand on ne les nomme pas tout de suite. Ils flottent dans la pièce, entre les générations, dans les liens qui semblent se tendre sans raison apparente.


Il arrive souvent qu’un patient vienne consulter pour une problématique qui, à première vue, semble très personnelle : une anxiété persistante, des difficultés relationnelles, un mal-être diffus. Mais au fil des séances, en prenant le temps de déplier l’histoire familiale, on se rend compte que des événements importants n’ont jamais été nommés : une adoption, un parent biologique disparu, une faillite, un deuil non fait, un exil, une maladie mentale gardée secrète. Le passé, en quelque sorte, se tait à travers les générations.


Ce que l’on ne dit pas mais qui se transmet quand même


Les non-dits ne protègent pas toujours. Parfois, ils enferment. Lorsqu’un sujet est tabou, il est pourtant ressenti. Les enfants, notamment, ont une sensibilité très fine à ce qui est tu. Ils perçoivent les silences, les tensions dans les regards, les réactions disproportionnées face à des situations apparemment banales. Et ils donnent un sens à ce qu’ils ressentent, même si ce sens est erroné.


Je me souviens d’une jeune femme que j’accompagnais, rongée par une angoisse de l’abandon très profonde. En retraçant son histoire, elle m’a parlé d’une grand-mère qu’elle n’avait jamais connue. Silence complet sur cette femme. Or, il s’est avéré qu’elle avait été internée dans un hôpital psychiatrique pendant plus de vingt ans, et que personne n’en parlait dans la famille. Ce silence, ce trou dans la généalogie, avait laissé une empreinte. Ce n’était pas la cause unique de ses difficultés, bien sûr, mais c’était un élément clé de son histoire.


Pourquoi certains silences deviennent des tabous


Il y a des époques où il n’était pas pensable de parler de certaines choses. La honte, la peur du regard social, les traumatismes de guerre ou de migration ont souvent poussé les familles à garder certaines expériences sous cloche. On croyait protéger les enfants, éviter de raviver la douleur, ou simplement on ne trouvait pas les mots.


En tant que thérapeute, je ne juge pas ces choix. Je comprends qu’ils aient pu répondre à une nécessité à un moment donné. Mais je constate aussi, dans ma pratique, que ces silences peuvent évoluer en fractures invisibles. Ils créent des angles morts dans l’identité personnelle. Quand un enfant sent qu’il y a quelque chose qu’il ne doit pas savoir, il intègre que certaines vérités sont dangereuses, voire qu’il n’a pas le droit d’interroger.


Cette posture peut générer une forme d’auto-censure durable : « Il vaut mieux ne pas poser de questions », « Je dois faire avec ce que j’ai », « Ma souffrance n’est pas légitime ». Cela pèse lourd dans les parcours de vie.


Lorsque je travaille avec une famille ou un individu, je pose souvent la question : « Y a-t-il des choses qu’on ne dit pas dans votre famille ? » Cette question, très simple en apparence, ouvre souvent une brèche. Des souvenirs remontent, des doutes refont surface.

J’utilise aussi le génogramme pour cartographier la famille sur plusieurs générations. Ce travail permet de faire apparaître les silences : les dates manquantes, les prénoms oubliés, les absences qu’on ne commente pas. Il arrive que certains patients se rendent compte qu’ils ne savent presque rien de leurs grands-parents ou qu’une branche entière de la famille est restée dans l’ombre.


Ce n’est pas toujours facile. Donner une place à ce qui a été tu peut raviver des douleurs, bousculer des équilibres. Mais ce travail de mise en mots permet aussi de sortir d’une forme de flou identitaire. Il ne s’agit pas de tout dire à tout le monde, mais d’ouvrir des possibilités de comprendre, de relier, de recontextualiser.


Je pense à un adolescent que j’ai suivi, dont les crises de colère étaient incompréhensibles pour ses parents. En creusant, on a appris qu’il était né juste après une fausse couche très traumatisante pour sa mère, un épisode qui n’avait jamais été abordé avec lui. En en parlant, chacun a pu relier les émotions et trouver un apaisement.


Se dégager des loyautés invisibles


Dans l’approche systémique, nous parlons aussi de loyautés invisibles : ces filiations inconscientes qui nous poussent à porter ce que d’autres ont vécu avant nous. Ne pas réussir, ne pas être heureux, se saboter dans ses relations : ce sont parfois des façons de rester fidèle à une histoire familiale silencieuse.


Quand on met en lumière ces logiques, on ouvre la possibilité de faire autrement. Pas en trahissant, mais en reconnaissant. Il est possible de dire : « Je comprends ce que mes parents ont vécu. Et maintenant, je choisis de vivre autrement. »


Ce travail se fait avec douceur, respect, dans le rythme de chacun. Il n’est pas question de forcer l’aveu, mais d’accompagner l’émergence du sens. Car ce que l’on comprend, on peut le transformer.


Les non-dits ne sont pas des oublis. Ils sont des traces. Ils parlent, même en silence. Et si vous sentez que certaines choses dans votre famille n’ont jamais été nommées, il est possible de leur donner une voix. En consultation, je vous aide à découvrir ces morceaux d’histoire et à les intégrer, pour que vous puissiez vous sentir plus libre, plus complet, plus ancré.


Car comprendre d’où l’on vient, c’est souvent le premier pas vers où l’on veut aller.

 
 

©2020 par Candice Verbist. Créé avec Wix.com

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